affectueuses n'y feraient rien : il était même probable que Taïr
l'écouterait avec méfiance – qui sait, peut-être même avec hos-
tilité – et le fossé entre eux ne ferait que s'approfondir.
Il rentra dans la chambre. L'horloge du corridor marquait
minuit. Bientôt Latifa sortirait du théâtre.
Il ne pouvait rester en place. « J'irai à sa rencontre, se dit-il.
Je lui ouvrirai mon cœur… Car il y a un an, tout un an que je
l'aime. » Et il s'étonna lui-même de tant de patience.
«
Je lui dirai tout ! » fit-il à voix haute, et il sortit dans la rue.
Il attendit longtemps. C'est du moins l'impression qu'il eut.
Chaque minute lui semblait une éternité.
Un groupe de jeunes filles descendit du tramet se dirigea
vers les marches de pierre qui conduisaient au sommet de la
butte. Djamil reconnut de loin Latifa. Elle était avec Zivar. Si
Zivar ne s'en va pas, songea-t-il, je ne pourrai rien luidire…
Les deux amies gravissaient lentement l'escalier, en devisant
avec animation. Djamil les suivait à quelques pas de distance.
Il entendit Latifa qui disait :
«
Passe la nuit chez nous, tu téléphoneras à ta mère.
Non,réponditZivar, elle s’inquièterait. Tu connais bien-
maman !
Mais Latifa la prit par le bras (elles étaient arrivées à la
dernière marche)et l'entraîna vers sa maison :
«
Viens, je ne te lâche pas ! »
Zivar avait cédé. Elles marchaient ensemble, côte à côte.
Le malheureux Djamil erra assez longtemps par la rue
déserte. Enfin, il rentra. La lumière ne brûlait plus. Ses cama-
rades étaient au lit. À travers le carreau, la clarté du dehors
tombait sur les visages de Samandar et de Taïr endormis.
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron