Djamil était un homme posé, du moins il le croyait. Il voulait
être certain qu'il serait accepté lorsqu'il s'ouvrirait à elle. À vrai
dire, il avait l'impression de lui être sympathique, mais il
craignait quand même d'essuyer un refus, et cela le désarmait.
En outre, il ne pouvait songer toujours et uniquement à Latifa,
comme Taïr !
Au puits, son travail l'absorbait tout entier. Il n'était
peut-être qu’un petit rouage dans ce mécanisme complexe,
mais un rouage qui devait fonctionner parfaitement. De plus, ils
s'appliquaient tous, et lui comme les autres, à terminer au plus
vite le forage ;alors ils recevraient une prime, l'équipe seraient
àl'honneur, et cela permettrait au trust de combler plus vite la
brèche. Le pétrole fourni par le puits qu'ils étaient en train de
forer, en augmentant le chiffre total de la production, ajouterait
à la gloire de Bakou. Djamil savait que s'il n'était pas tout à son
travail, s'il se permettait de rêver, il ferait du tort non seulement
à lui-même, mais encore à ses camarades, et avant tout à ceux
qui fournissaient la plus grande somme d'efforts ; s'il s'était
laissé prendre en faute, il n'aurait plus osé les regarder en
face… Il avait l'impression que Taïr ne comprenait pas encore
tout cela. Mais il devait le comprendre, et il le comprendrait
dès qu'il connaîtrait mieux la production.
Lui-même d'ailleurs avait été différent au début. Il ne s'était
pas toujours suffisamment appliqué ; Latifa hantait sa pensée ;
il rêvait d'aller avec elle au théâtre ou au cinéma. Mais par la
suite il avait appris à se maîtriser.
Maintenant, il se demandait et se redemandait : « Mais
pourquoi ai-je caché à Taïr mes sentiments pour elle ? Pourquoi
ne lui ai-je pas tout raconté ?Il comprenait qu'il était trop tard
à présent pour avoir une explication avec lui. Toutes les paroles
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CHAPITRE IV