Parfois, superstitieux, il maudissait le sort ; parfois il jurait de
se venger de Djamil qu'il rendait responsable de ses malheurs.
Un dimanche que Samandar et Bilandar étaient sortis, Taïr,
incapable de se contenir plus longtemps, par la franchement à
Djamil :
«
Ecoute, c'est toi qui m'as persuadé de venir ici, n'est-ce pas?
Mais, Taïr, tu n'es pas un enfant ! Et d'ailleurs, ne m'as-tu
dit toi-même combien tu désirais travailler au forage, devenir
un héros du travail ? Si tu es un homme, et si tu n'as qu'une
parole, avoue que tu l’as dit ? »
Taïr en avait la gorge sèche ; certes, il avait tort de s'en
prendre à Djamil.
«
Je l'ai dit, je ne le nie pas… fit-il d'une voix entre-
coupée.Mais alors, à la campagne, tu as tant vanté Bakou que
mon désir de travailler ici en a été décuplé. Je pensais que tu me
voulais du bien, toi, mon camarade d'école, que tu avais de l'es-
time pour moi comme j'en avais pour toi. Et maintenant !
Maintenant ? Est-ce que Bakou te plaît moins ?
Ce n'est pas de Bakou, c'est de toi que je parle !
De moi ? Mais moi, je suis resté le même. Et si je ne
voulais pas ton bien, Taïr, je serais le dernier des derniers. »
Sa voix tremblait, il était sûr de n'avoir mérité aucun
reproche, et il ajoutaavecamertume :
«
Pourquoi a-t-il fallu que j'aie si grande envie de faire du
bien à un ingrat ? »
Le mot"ingrat" vexa Taïr.
«
Je ne te dois rien ! dit-il. Ni le trust, ni les puits ne t'ap-
partiennent.Ton père ne te les a pas laissés en héritage.
Que veux-tu de moi, à la fin ?Qu'est-ce que je t'ai fait ? »
Djamil avait peine à se contenir ; il ne comprenait pas ce qui
avait pu pousser Taïr à déclencher cette dispute.
98
MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron