Je n'en donnerais pas ma main à couper, mais en tout cas
c'est par là qu'elles allaient.
Samandar fixa sur Djamil un regard interrogateur :
Comment, c'est Taïr, à présent, qui fait la cour à Latifa ?
Et toi ? Djamil eut unmouvement nerveux :
Je t'ai répété cent fois qu'elle ne m'est rien.
Mon vieux, ne te fâche pas, je ne t'ai rien dit de méchant.»
«
Ah-ah, tu gardes jalousement ton secret», songea Taïr.
Comme si nous ne comprenions rien ! Et il eut grand'peine à ne
pas lâcher les deux mots qu'il avait sur le bout de la langue :
«
Tu mens ! »
Il se leva et sortit dans l'espoir de rencontrer Latifa. Il se
sentait intérieurement plus fort que Djamil et il était content de
lui avoir enfin dit ce qu'il pensait.
Il s'engageait dans la petite rue où était l'arrêt du tram, quand
tout à coup une idée l'atteignit comme une piqûre : que
dirait-il à Latifa s'il la rencontrait, maintenant qu'elle se
montrait si froide et dédaigneuse ?
Il est vrai qu'en somme il n'avait rien à se reprocher. Mais
tout au fond de lui-même, il reconnaissait qu'il était injuste de
n'accuser que Djamil de ses malheurs des derniers jours. Ne
l'avait-il pas vanté en le présentant à Koudrat Ismaïlzadé?
«
Si tu aimes la vérité, disait une voix intérieure, regarde au
fond de toi-même.»
J'ai beau regarder, répondait Taïr, je ne vois rienque je
doive me reprocher…
Regarde mieux : il est toujours plus facile de voir les
défauts des autres que les siens,reprenait la voix. »
Toutes ses pensées, pareilles à des lueurs éparses, se
fondirent tout à coup en un rayon puissant qui éclaira aussitôt
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CHAPITRE IV