plus tôt pour retrouver Latifa parmi la foule. « Mais elle est ici,
elle est sûrement ici»,se dit-il.
Quand le rideau se fut levé, un grandiose paysage de la
Volga s'offrit à sa vue. On jouait L'Orage d'Ostrovski. Le
silence régnait dansla salle.
C'était la première fois que Taïr entendait le langage mesuré
et harmonieux d'Ostrovski. Il avait l’impression d’entendre des
vers. Ces personnages si lointains et inconnus lui devinrent tout
à coup très proches ; il oublia qu'il avait devant lui des décors
et des acteurs. Et quand Katérina parut sur la scène, s'avançant
avec lenteur, pleine d'une grâce mélancolique, il se dit que
c'était la vie même qu'il avait devant lui. Elle disait : « Maman,
vous êtes pour moi une vraie mère ; Tikhon aussi vous aime…»
Et Taïr songea : «C'est un bonheur quand les brus aiment leur
belle-mère.» Et il se rappela sa mère, à lui. Mais quand il en-
tendit les cruelles paroles de Kabanikha, il se dit : «Maman n'est
pas méchante comme elle.»
Détachant pour un instant son regard du spectacle, il aperçut
Latifa au deuxième balcon. Elle fixait la scène, le cou un peu
tendu, et la main sur l'épaule d'une amie assise à côté d'elle.
Toutes les pensées de Taïr se brouillèrent. Il se demanda
comment il l'aborderait, ce qu'il lui dirait… Son cœur battait
très fort. Il attendait avec impatience la fin du premier acte.
Mais quand le rideau retomba, toutes les phrases qu'il avait
laborieusement préparées s'envolèrent de sa mémoire. Il se
glissa à travers la foule, impatient de quitter la salle, comme s'il
craignait qu'elle le vît et se cachât. Il monta l'escalier ; arrivé au
deuxième balcon, il l'aperçut au bras de son amie ; elle venait à
sa rencontre. Involontairement, il ralentit le pas, se contracta, et
ditd'une voixlégèrement enrouée et tremblante d'émotion :
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron