«
Bonsoir, Latifa ! »
Elle leva les yeux, s'arrêta juste un instant, indécise, comme
contrariée de le rencontrer au théâtre, et encore en présence de
son amie. Pourtant, elle répondit :
«
Salut, Taïr ! »
Il y avait tant de froideur et d'indifférence dans ses paroles
qu'il craignit d'être jugé importun et raillé par tous ceux qui
pouvaient les voir ; il allait s'éloigner, mais la jeune fille, retrou-
vant sa délicieuse cordialité d'autrefois, reprit :
«
Quoi de neuf, Taïr ? »
Son amie l'examinait avec un certain intérêt, il nota dans ses
yeux un sourire presque insaisissable ;peut-être Latifa
avait-elle dit du mal de lui ? Pourtant ses bonnes paroles
l'avaient réconforté. Il aurait voulu lui dire ici-même sa
reconnaissance. Il passa sa langue sur ses lèvres sèches ; il ne
savait que faire de ses mains, devenues tout à coup lourdes et
gênantes. Il se sentait gauche… elles devaient s'en apercevoir.
Cette idée le fit rougir jusqu'à la racine des cheveux.
Mais déjà Latifa s'était tournée vers son amie :
«
Faites connaissance, Zivar. »
Taïr tendit la main à la jeune fille et pressa ses doigts minces,
légèrement, comme s'il craignait de lui faire mal. Selon l'usage
de la ville, auquel il était déjà habitué il se nomma à son tour.
Alors seulement, il se convainquit avec ravissement que Latifa
ne le boudait plus.
Il aurait voulu lui demander les raisons de sa froideur
momentanée, mais elle dit :
«
Faisons quelques pas, voulez-vous ? » et elle passa son
bras sous le bras de Zivar.
Tandis qu'il marchait à côté de Latifa, Taïr sentait sa
gaucherie le reprendre et ne savait que dire.
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CHAPITRE IV