«
Raconte-nous donc comment tu voulais t'en aller, demanda
Latifa, redevenue sérieuse. C'est heureux qu'on t'ait rattrapé à
la gare ;
ousta
Ramazan aurait été capable d'aller te chercher
jusque dans ton village. Tu ne le connais pas! »
Ce fut pour Taïr une révélation : « Aha !C'est donc pour cela
qu'elle était fâchée ?» Et aussitôt, il voulut se justifier :
«
Mais non, tout ça, c'est des racontars. J'étais allé à la gare
pour voir quelqu'un de chez nous et lui remettre un mot pour ma
mère.
Avec ton
saz
sous le bras et ta besace à l'épaule ? »
Zivar se mit à rire, et Taïr comprit alors pourquoi elle l'avait
regardé avec ironie.
À l'idée de Taïr se hâtant sur le quai de la gare avec son
saz
et sa besace, Latifa éclata de rire à son tour.
Il avait pris son mouchoir et s'épongeait le front.
«
Si vous ne me croyez pas, je n'y peux rien. Mais qui donc
a pu vous renseigner si vite et vous donner tous ces détails ? »
Il songea à Djamil : « Et qui donc, à part lui ?» Il ne put
s'empêcher de demander,maussade etles sourcils froncés :
«
C'est Djamil qui t'a dit cela ? »
Le rire de Latifa s'éteignit brusquement.
«
Ce qu'on m'a raconté est vrai, dit-elle. On n'a rien
inventé… Devais-tu chanter en t'accompagnant du
saz
ce que
tu avais à faire dire à ta mère ?
Mais ne peut-on pas savoir le nom de ce cancanier ? »
Son insistance déplut à Latifa : qu'importait, en fin de
compte, qui le lui avait dit ? Elle le tenait de Dadachly,
secrétaire de l'organisation du
Komsomol
,
qui la voyait presque
tous les jours et voulait, par son intermédiaire, convoquer Taïr
pour qu'ils'expliquât.
116
MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron