Taïr comprit qu'elle ne dirait rien, et n'insista plus.
«
Mais sache bien que Djamil n'y est pour rien, reprit Latifa.
Pourquoi me l'aurait-il dit, lui précisément ? Qu'ai-je à faire
avec lui ? »
«
Elle n'est donc pas amoureuse de Djamil !» songea Taïr,
fou de joie ; et pour bien s'en convaincre, il la regarda dans les
yeux. Mais dans ses yeux et sur ses lèvres, il ne vit rien que son
sourire tranquille et énigmatique. « Elle sait garder son secret»,
se dit-il.
Arrivés au bout du foyer, ils firent demi-tour, et Taïr frôla
par mégarde le bras de Latifa ; il s'excusa aussitôt :
«
Oh,pardon ! »
Et profitant du moment, il lui glissa à l'oreille :
«
Le passé est le passé. Mais pourquoi me faire honte devant
elle ?
Tu as honte ? Tant mieux, c'est que tu reconnais ta faute.
Zivar, tu n'as jamais entendu chanter Taïr ? Il a une belle voix.»
Latifa cherchait manifestement un autre sujet de conversa-
tion.
«
Il faudra absolument qu'il nous joue et nous chante
quelque chose.
Oui, fit Zivar en hochant la tête ; et elle fixa sur Taïr ses
petits yeux qui brillaient comme des perles noires dans son vis-
age rose et arrondi.
Cet intérêt qu'on lui témoignait, Taïr l’expliquait à sa façon:
ce qui plaisait aux jeunes filles, et surtout à Latifa, c'était donc
ses chansons et son
saz
!
Il lui était pénible de se l'avouer. «
Elles veulent que je les amuse », songea-t-il, et la joie qu'il
éprouvait quelques instants auparavant fit place à une déception
amère. Une ombre passa sur son visage hâlé.
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CHAPITRE IV