Mais Latifa n'avait rien remarqué.Elle poursuivit :
«
Zivar habite aussi notre quartier ; elle aime beaucoup
chanter et joue très bien du piano. Taïr, tu nous chanteras une
ou deux chansons, c'est promis ?
Il ne répondit rien. Latifa, le voyant si sombre, comprit qu'il
avait de la peine, Elle répéta :
«
C'est promis ? »
Il acquiesça de la tête, mais sans rien dire ; la réponse était
écrite sur son visage :« Bien sûr, puisque tu le désires ! »
La sonnerie retentit. Au foyer, les lumières s'éteignirent et se
rallumèrent. Les jeunes filles se hâtèrent de regagner leur loge.
Taïr suivit la foule qui se déversait dans la salle. Dès qu'il se
fut assis, il leva les yeux vers leur loge.
«
Elle m'aimera, j'en suis certain. Ce Djamil nous gênait tout
le temps. C'est surement lui qui a tout raconté. Ce n'est quand
même pas
ousta
Ramazan…»
Latifa et Zivar regardaient le parterre. Taïr se leva, se dressa
sur la pointe des pieds, le cou tendu, s'efforçant d'attirer leur
attention. Mais elles ne le voyaientpas.
La lumière s'éteignit. Taïr se rappelait mal le premier acte. Il
ne put d'emblée se replonger dans la pièce. Puis l'action le
ressaisit. Il était profondément ému par ce qu'il voyait et
entendait. Il lui semblait que comme Katérine, il trouverait la
force de triompher de tous les obstacles qui se dressaient entre
lui et l'être aimé.
Quand le rideau, s'abaissant lentement, eut caché Katérina
aux spectateurs, Taïr ne bougea pas ; il était bouleversé par la
puissance de l'art. Son jeu sur le
saz
,
les chansons qu'il chantait,
les pièces qu'il avait vues chez lui, au théâtre du chef-lieu, tout
lui paraissait bien pâle et bien flou.
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron