À l'étroit dans les petites rues tortueuses, le tram avançait
lentement ; mais il retrouva l’espace libre et fila à toute allure
dans une rue large et égale.
À chaque tour de roues, Taïr découvrait un Bakou plus
grand, plus vaste. Il lui semblait qu'un courant inconnul’
emportait toujours plus loin sur une mer agitée. Oui, Djamil
avait eu raison : tout ce qu'on pouvait dire de Bakou n'était rien
:
il fallait voir ça par soi-même.
Djamil était allé passer ses vacances dans son village natal.
Le jour même de son arrivée, après avoir revu ses parents, il
s'était rendu chez Taïr. C'était son ami d'enfance. Ils avaient
grandi ensemble, étudié ensemble et éprouvaient l'un pour
l’autre cette amitié qui n'appartient qu'à la jeunesse.
Gulsenem, la mère de Taïr, était sur la terrasse de sa
maisonnette de pierre quand Djamil entra.
«
Sois le bienvenu ! »fit-elle, en réponse aux salutations du
jeune homme.
Après une année d'absence, elle retrouvait un Djamil qui
avait grandi et était devenu un homme. Elle ajouta gaiement :
«
Bakou t'a fait du bien… que toutes tes peines passent dans
mon cœur… »
Gulsenem regardait Djamil de ses bons yeux, sa joue dans la
paume de sa main et sa tête légèrement penchée sur l’épaule. Il
avait du plaisir à être là avec la mère de son ami, dans la petite
maison qu'il connaissait si bien, et son regard pétillait de
bonheur. Aux yeux de Gulsenem, cet homme qui se trouvait de-
vant elle, c'était son Taïr revenu d'un long voyage. Le visage de
Djamil, encore imberbe l'année précédente, était rasé de près et
de fines m
ousta
ches soigneusement taillées ombraient sa lèvre
supérieure. Comme toujours, ses petits yeux noirs souriaient.
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron