11
«
Où est Taïr, tante Gulsenem ? » demanda-t-il avant de lui
tendre la main.
Mais voyantqu'elle se haussait vers luidans l’intention
manifeste de l'embrasser, il inclina la tête et lui présenta sa joue.
Gulsenem mit ses bras autour de son cou, déposa un gros baiser
sur sa joue gauche et passa une main rugueuse sur son jeune
front et dans ses cheveux bouclés.
«
Taïr est parti au petit jour et je ne puis te dire où il est, car
il a une nouvelle passion :la chasse.
Et il rapporte du gibier ?
Mais bien sûr !Tantôt des faisans, tantôt des cailles… »
Durant son voyage, Djamil n'avait eu qu'une seule pensée,
et il décida d’en faire part à Gulsenem.
«
Je suis revenu pour emmener Taïr avec moi. Mais il n'était
pas vraiment sûr qu’on lui en donnerait l’autorisation:son ton le
disait bien.
On verra, répondit la mère de Taïr en baissantles yeux.
La jeunesse d'aujourd'hui, c'est comme ça. Vous ne tenez pas en
place,Bakou vous attire comme un aimant.Taïr m'a dit plus
d'une fois que beaucoup de ses camarades partaient travailler
aux puits. Il est toujours plongé dans les journaux, en train de
penser… à quoi ?Je n'en sais rien !
Il revient bientôt ? »
Djamil porta son regard sur la route. Elle sortait de la gorge
et montait en serpentant pour traverser tout le village et
disparaître derrière une butte. Il vit au loin la fumée blanche
d'une locomotive qui traînait derrière elle les petites boîtes des
wagons et dont le sifflet s'entendait à peine. De l’autre côté du
talus s'ouvrait une large plaine grisâtre. Çà et là, entre les
roseaux vert sombre, brillait de petits lacs miroitants.
CHAPITRE I