Ils étaient arrivés au foyer, et Taïr, apercevant de loin Latifa,
en oublia de répondre à son ami.
«
Tu ne crois pas que j'ai raison ?demanda Samandar.
Enquoi ?
Mais en ceci que les femmes…
Si l'amour est réciproque, il n'y a rien à craindre. Heureux
celui qui est aimé et qui aime comme Katérina… »
En revenant du théâtre. Taïr se promit bien de ne pas
importuner Latifa, de ne pas tourner constamment autour d'elle,
de bien peser chacune de ses paroles, chaque pas qu'il ferait.
Ce soir-là Djamil était resté seul dans la chambre. Il était de
mauvaise humeur. Celui qui l'avait blessé par une accusation
injuste, c'était son ami le plus proche. Comment Taïr avait-il
pu y croire ? Djamil n'arrivait pas à se tranquilliser. Il prit un
livre, mais il lui fut impossible de se concentrer ; il l'abandonna
et se mit à arpenter la pièce. Il sortit, erra dans la rue déserte,
revint dans la chambre. Étendu sur son lit, il songeait, les yeux
au plafond ; il se répétait chaque parole qu'il avait dite au cours
de sa discussion avec Taïr. Non, vraiment, il n'avait rien à se
reprocher. Et il se rembrunit encore davantage.
«
Je suis venu un an avant lui, il y a longtemps que j'aime
Latifa, se disait-il ; est-ce de ma faute ? Peut-être ai-je eu tort
de cacher mon secret à Taïr ? Si je le lui avais raconté dès le
début, tout cela ne serait peut-être pas arrivé…»
Il rejeta le livre qu'il avait pris, se leva, et sortit de nouveau
dans la rue déserte. Il allait et venait le long du trottoir, se
détournant à chaque rencontre, tout à ses pensées. Il aimait
Latifa. Ill'aimait depuis longtemps, depuis les premiers jours
de son arrivée à Bakou. Mais pourquoi le cachait-il à ses amis,
pourquoi surtout le lui cachait-il à elle?
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MEKHTI HOUSSEIN
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Apchéron