Ils prirent place dans la voiture.
«
Je rentre à la maison… J'espère y trouver Koudrat. »
À son ton, on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une rencontre
entre deux directeurs qui auraient eu à dissiper un malentendu.
Quand Lalé arriva chez elle, Koudrat n'était pas encore là. Sa
belle-mère et sa fille dormaient. Lalé oublia aussitôt qu'elle était
directrice. Sans bruit, sur la pointe des pieds, elle passa dans la
salle à manger, fit glisser le foulard de ses épaules, changea la
nappe sur la table, prit dans le buffet le couvert brillant comme
un miroir, et après seulement jeta un coup d'œil sur l'horloge :
une minute encore, et minuit allait sonner.
3
Quand l'équipe d'
ousta
Ramazan reprit le travail, la descente
de la colonne était terminée. Ramazan et Vassiliev, bien reposés
après une journée fort remplie,surveillaientle travail.
Taïr avait l'impression de n'être plus un novice, d'être
devenu un homme, maintenant que le maître lui confiait des
responsabilités. La veille,
ousta
Ramazan ne s'était-il pas
exclamé : « Bien ! Très bien ! A la bonne heure!» Maintenant,
Taïr se sentait encore plus gai et plus sûr de lui. Il allait et
venait, légèrement exalté, s'enhardissait jusqu'à donner son avis
à des ouvriers qui étaient plus âgés mais avaient lu moins que
lui et n'avaient pas encore réussi, lui semblait-il, à s'attirer la
confiance du maître. Parfois, il faisait en effet ce qu'ils n'avaient
pas su faire. Et quand il ne s'en tirait pas, lui non plus, il allait
demander conseil à Ramazan ou à Vassiliev.
Les yeux d'un rival sont perçants, dit-on. Djamil observait en
silence chaque geste de son camarade qui, arrivé plus tard, réus-
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CHAPITRE V