Des bagatelles ? Koudrat se contenait pour ne pas élever
la voix. Depuis quand la santé des ouvriers est-elle une
bagatelle ? Mais vous raisonnez comme les industriels
Mantachev et Taguiev ! Ouvrez le robinet ! »
Badirli, craignant de prononcer encore quelque phrase
malheureuse, s'exécuta en silence. L'eau s'échappa de la douche
comme d'une lance à incendie, en un large jet.
«
Alors, à votre avis,c'est une douche, ça ? C'est une douche
ou une fontaine ? demanda Koudrat ;vous me ferez réparer ça
aujourd'hui même, et dès que ce sera fait, vous me le direz.
Est-ce clair, ou voulez-vous que je répète ? »
Badirli fit un signe de tête obséquieux :
«
Oui, oui, c'est clair. »
Ils entrèrent dans la chambre de Taïr et de ses cama-
rades.Samandar était seul, étendu sur son lit, en train de lire Le
Communiste, auquel Taïr s'était abonné. Il continuait à ne pas
vouloir dépenser d'argent pour les livres et les journaux mais il
avait pourtant lu
Kourbanali-bek
.
Cela lui avait beaucoup plu,
il l'avait lui-même avoué : Molla-Nasreddin l'avait bien fait
rire, et il avait voulu se procurer d'autres œuvres du même
auteur.Il s'était inscrit à la bibliothèque ; y ayant vu Zivar qui
lui plaisait, il y était retourné presque tous les jours sous
prétexte de changer de livre.
Maintenant, il lui arrivait de discuter avec Djamil au sujet de
tel ou tel récit. Et Djamil n'osait plus l'appeler Bedon. Parfois
Samandar glissait dans la discussion des petits mots bien
pensés. Et quand il retrouvait dans un journal ou une revue des
idées analogues à celles qu'il avait exprimées, il les soulignait
au crayon et les montrait à Djamil d'un air triomphant :
«
Tu vois, c'est bien ce que je disais ! L'essentiel n'est pas de
lire beaucoup, mais de comprendre ce qu'on lit ! »
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron