sent chez l'ouvrier le sentiment de ses responsabilités.
Calme-toi ! À son tour, Lalé s'était levée. Pourquoi
cries-tu ? Que vont penser les voisins ?
J'irai protester officiellement »poursuivit Koudrat,
toujours sur le même ton et de plus en plus irrité.
Laléessayaitdele tranquilliser.
«
Tu ne veux pas qu'on t'aide, eh bien, on ne t'aidera pas.
Tout le monde sait que l'émulation, ce n'est pas la concurrence
;
nous voulions que nos trusts soient vainqueurs tous les deux.
Qui est-ce qui a envoyé cet article au journal ? Mes
ouvriers sont-ils si molasses qu'il faille les prendre à la
remorque?»
Koudrat avait dit « remorque» d'un ton moqueur, avec un
geste de dédain.Sans un mot, Lalé passa dans la chambre à
coucher. Elle estimait que Koudrat avait tort. Depuis quinze ans
qu'ils vivaient ensemble, il n'avait encore jamais élevé la voix
en lui parlant. Et aujourd'hui…elle souffrait. En admettant
même qu'elle se fût trompée, qu'elle eût commis une erreur,
pourquoi le lui dire si brutalement ? Elle avait toujours cru
qu'au travail comme à la maison, ils étaient, lui et elle, de
grands et vrais amis. S'était-elle donc trompée ? Sans s'en
rendre compte, elle commençait à lui attribuer des idées d'un
autre âge.
Elle s'était couchée et elle songeait aux torts de Koudrat, à
l'amour-propre maladif niché dans un repli secret de son
cœur.S'il ne s'était pas manifesté jusqu'à présent, c'est qu'il n'en
avait pas eu l'occasion : Koudrat était toujours en avance. Mais
maintenant que son trust restait en arrière, on ne le vantait plus.
Il fallait du temps pour combler la brèche et Koudrat rongeait
son frein. L'article du journal avait blessé sa vanité. « Tout ce
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CHAPITRE V