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angoissée. Elle tremblait, comme prise de fièvre. S'il tombe il
sera dévoré par les chiens…
Mais déjà la jument longeait au galop la palissade de la cour
voisine ; l'instant d'après elle s'arrêtait devant le perron, comme
clouée sur place. Et Taïr tout joyeux criait d'une voix sonore :
«
Ah ! Djamil ! Bonjour, mon ami, bonjour ! Le fils intrépide
de la campagne kolkhozienne salue le glorieux héros des puits
de pétrole ! »
Il sauta à terre, une petite antilope entravée dans les bras, et
gagna la terrasse. L'animal était vivant. Il le mit debout sur ses
jambes fines et attacha l'extrémité de la corde à l'un des piliers
avant d’ouvrir tout grands ses bras à Djamil qu'il pressa
contre lui.
«
Sois le bienvenu, Djamil !Tu vas avoir un bon
chachlyk
d'antilope ! » Le gentil petit animal jetait autour de lui des
regardsapeurés, écarquillant ses yeux noirs comme le goudron
et tremblant de tout son corps au moindre bruit.
Djamil ne voulait pas que son ami tuât l'antilope. Et
Gulsenem, qui avait pitié d'elle, intercéda aussi en sa faveur :
«
Laisse-la vivre, elle est encore si petite ! Et puis, quel goût
peut-elle avoir ? »
Mais Taïr était têtu. Il alla prendre la pierre à aiguiser, ouvrit
son couteau de poche et en affila la lame tout en disant :
«
Tu oublies qui nous avons aujourd'hui à dîner ! Comment
le priver d'un pareil plaisir ?Non, non… il faut que je la tue.
Mon ami, dit Djamil, je sais bien que quand tu as décidé
quelque chose… pourtant, si c'est en mon honneur que tu veux
la tuer, c'est bien gentil, mais je te demanderai de n'en rien faire.
Pauvre bête !regarde-la donc ! »
Piétinant, le cou tendu, l'antilope aspirait l'air de ses narines
CHAPITRE I