émulation,non seulement entre ouvriers, entre équipes, et entre
puits, mais encore entre trusts. Le directeur surveillait le travail
de chaque sonde. Les fêtes d'octobre approchaient. Tous les
journaux locaux publiaient des « tableaux d'honneur» où
figuraient les meilleurs ouvriers. Chaque jour, correspondants
et photographes se rendaient aux différents puits, s'informaient
de la marche des travaux, écrivaient les noms de ceux qui
s'étaient distingués. Le plus souvent ils venaient au forage chez
ousta
Ramazan et lui rappelaient la promesse solennelle que
l'équipe avait faite à la direction du trust et aux lecteurs du
journal. La veille au soir, il était même venu un correspondant
de Moscou qui avait demandé au maître foreur une foule de
détails.
Ousta
Ramazan avait fait l'éloge des jeunes. Il avait
vanté les mérites de Djamil, mais n'avait rien dit de Taïr.
Celui-ci en avait été piqué au vif. Pourtant, il n'accusait
personne. Il ne s'en prenait qu'à lui-même : une fois de plus, il
n'avait pas su prévenir la fuite de la boue. Quand il avait
quelques minutes de liberté, il se tenait à l'écart ; appuyé au
taquet, il réfléchissait, se faisait des reproches. Il se rappelait les
paroles de Latifa, et au fond, il était d'accord avec elle.
Maintenant que les travaux étaient arrêtés, il songeait encore
et encore à lui-même, à sa faute. « J'ai déçu
ousta
Ramazan, se
disait-il. Depuis hier, il ne m'a pas regardé une seule fois. »
Tout à coup il sentit le contact d'une main, tressaillit et se
retourna. C'était Djamil quidisait :
«
Que fais-tu là, mon vieux ? À quoi penses-tu ? Je suis venu
te chercher ; on voudraitque tu chantes. »
Taïr dégageason bras et répondit :
«
Non, je ne chanterai pas. J'ai bien autre chose en tête.
D'ailleurs je ne comprends pas cette soudaine envie de
chansons.
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron