moi. Tu es trayeuse, toi, et bonne trayeuse. Tut'en sors ! Et pour
faucher l'herbe aussi, on se passera bien de moi. Le président du
kolkhoz me laissera partir. Bref, je m'envais, c'est décidé ! »
Après leur entretien, Taïr avait retrouvé Djamil tous les
jours, et bientôt il avait fait ses préparatifs en vue du départ.
Toutes les tentatives de Gulsenem pour dissuader son fils
furenten vain :deux semaines plus tard, Taïr et Djamil s'étaient
mis en route.
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Les jeunes ouvriers, en s'éveillant de bon matin, trouvèrent
Djamil et Taïr endormis dans leur chambre. Arrivés tard dans la
nuit, ils n'avaient voulu réveiller personne et s'étaient couchés
sans bruit.
Qui était ce nouveau ? D'où venait-il, avec sa peau bronzée,
ses larges pommettes, son front haut et ses lèvres fines, dont
une était ombrée d'un fin duvet noir ? Il dormait, ses mains aux
longs doigts posées sur la couverture blanche, les paupières à
peine fermées, le souffle régulier.
Les gars regardaient tantôt Taïr, tantôt sa besace bariolée sur
l’appui de la fenêtre. Mais l’un d'eux, un noiraud qui avait l’air
solide, et dont le lit était à côté de celui de Djamil, considérait
la besace avec plus d'attention que Taïr lui-même.
Il avait toujours envie de manger, tout le monde le savait : il
descendait à la cantine avant les autres et il en sortait le
dernier.Il aimait à répéter :
«
Ma mère m'a appris à manger beaucoup. Quand j’étais
petit, elle tapait dur quand je laissais quelque chose dans mon
assiette. C'est pour ça que maintenant, je suis toujours prêt à
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CHAPITRE I