avaler tout ce qui est un peu plus tendre que la pierre. Si jamais
vous trouvez chez moi quelque chose qui soit bon à manger,
prenez-le ; moi, de mon côté, je prendrai ce que je trouverai
chez vous, que ce soit sucré ou salé, peu importe ! »
Djamil était son ami. Il l’avait surnommé Bedon, mais de
son vrai nom il s'appelait Samandar, comme l’oiseau des con-
tes de fée.
Un jour, Djamil était revenu avec des livres qu'il venait
d'acheter. Samandar avait ouvert de grands yeux :
«
Comment ? Mais tu jettes ton argent par les fenêtres !
A-t-on idée d'acheter des livres ! »
Djamil s'était contenté de sourire de la naïveté de ces paroles
jaillies du fond du cœur et il avait rangé ses livres avec soin sur
l’appui dela fenêtre.
Depuis, Samandar avait plus d'une fois blâmé la passion de
ses camarades pour la lecture. Les ouvrages techniques, les
romans et les recueils de vers avaient néanmoins fait irruption
dans la chambre, de plus en plus nombreux.
Les jeunes ouvriers se rendaient aux puits de grand matin; et
souvent, quand ils ne suivaient pas les cours du minimum
technique, ils passaient leurs soirées à lire. Mais même dans
ces circonstances, Samandar était travaillé par l'idée de manger.
C'est pourquoi il considérait ce matin-là avec tant de
convoitise la besace de Taïr. Enfin, n’y tenant plus, il se tourna
vers son voisin :
«
Je jetterais bien un coup d'œil dedans, mais je crains qu'elle
appartienne au nouveau. »
Pour lui changer les idées, l’autre répondit :
«
Un peu de patience, mon ami. Allons plutôt nous laver :
entre-temps Djamil se réveillera. »
16
MEKHTI HOUSSEIN
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Apchéron