donnait sur la cour d'à côté, elle cria à l’un des enfants en train
de jouer :
«
Iachar, Iachar ! Cours chercher Naïlia. Si elle fait sa classe,
dis-lui qu'elle trouve quelqu'un pour la remplacer et qu'elle
vienne tout de suite. »
S'étant convaincu que le gamin était parti en courant, Nissa
se hâta de préparer à manger, mais ses mains tremblantes
laissaient tomber la vaisselle, les couteaux, les fourchettes.
Ramazan qui avait fait sa toilette, s'assit à table, à sa place
habituelle. Il était impatient d'en savoir davantage.
«
C'est long à raconter, dit Pacha. Depuis mon départ, je n'ai
pas eu un instant libre, et les circonstances ne m'ont pas
permis…
Même de nous envoyer un petit mot ?
Mais comment ? Et par qui ? Pendant près de quatre ans,
j'ai été à l'arrière de l’ennemi. C'est chez les partisans que j'ai
été amputé et qu'on a soigné mes plaies. Quand notre armée est
passée à l'offensive, nous nous sommes enfoncés toujours plus
loin à l'arrière des Allemands. »
Il ne vint même pas à l'idée du vieillard de demander
pourquoi son fils n'avait pas été démobilisé quand il avait perdu
son bras.
«
Nous avions souvent des nouvelles de Bakou, poursuivit
Pacha. Tous les cinq ou dix jours un avion arrivait.
D'ici ?
Non, de Moscou…
Ah ! Et tu dis qu'il n’y avait personne à qui donner un
mot pour nous ? Est-ce que vraiment les pilotes auraient refusé
de prendre une lettre ?
J'avais peur de vous faire de la peine à cause de mon
bras… Quand l'avion atterrissait, je demandais toujours au
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron