et retourna à la cuisine. « C'est comme ça, songeait-elle, les
mots ne vous viennent pas… Naïlia est bien longue… Comme
elle va être contente ! »
Levant les yeux sur son père, Pacha sentit que les larmes
étouffaient le vieillard. Il aurait voulu le consoler.
«
Tu comprends bien, papa, que cette guerre nous a coûté
gros… Que sommes-nous ? Une goutte d'eau dans la mer…
Je sais, je sais, mon fils, ne va pas croire que je ne pense
qu'à moi… Les jeunes qui ont péri, c'était de l'or ; et ils sont
nombreux… qu'y faire ? La victoire exige des sacrifices. »
Au même instant, une femme se montra sur le seuil. Elle
portait une robe sombre, sa tête était couverte d'un fichu de soie,
ses cheveux noirs étaient partagés, au-dessus de du front, par
une raie bien droite.
Pacha tournait le dos à la porte. En entendant des pas, il
regarda qui arrivait. Il se leva d'un bond et voulut s'élancer,
mais il se ressaisit.
«
Bonjour ! » dit la femme, et elle s'arrêta, troublée.
«
Approche, approche, Naïlia, ma fille, ne te gêne pas, dit le
vieillard en allant à sa rencontre, et il posa ses mains sur les
épaules de la jeune femme. »
Ne pouvant se contenir davantage, il pleura comme un
enfant. Mais aussitôt, honteux de sa faiblesse, il ravala ses
larmes.
«
Que le lait de ta mère te profile, dit-il.
Pour Pacha, ce furent des instantsdurs à traverser. Sa femme
devait savoir, tout de suite, pour qu'il sût lui aussi, sans tarder.
S'il voyait la plus légère ombre de mécontentement sur son
visage, il la remercierait de l’avoir attendu si longtemps, et il lui
dirait : “Quand tu m'as aimé, je n’étais pas un infirme ;
maintenant, tu es libre”. »
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron