Taïr portait une vareuse et des bottes, comme en arrivant à
Bakou. Ses cheveux étaient rejetés en arrière. Son
saz
pendait
à son épaule, le manche en bas. Il s'avança au milieu de la
«
scène» et s'y campa fièrement, comme un artiste assuré du
succès, indifférent à la tiédeur de l’accueil.
Latifa, les sourcils froncés, avait hâte de l’entendre. Une par-
tie du public, ne comptant sur rien d'extraordinaire, s’était levée
et gagnait la sortie. Le silence était rompu.
Mais Taïr n'avait pas l’air de s'en apercevoir.
Il appuya son
saz
à sa poitrine et ses doigts coururent sur les
cordes. Les yeux de Latifa s'agrandissaient peu à peu ; sa
bouche entr'ouverte était pareille à une bouche d'enfant. Taïr, la
tête penchée, se balançait mollement, comme bercé par son
propre jeu, et il regardait au loin, par-dessus les têtes. Tout à
coup il chanta. Sa voix montait, de plus en plus sûre. Il semblait
particulièrement inspiré – peut-être à cause de la salle pleine
de monde ?
C'était la première fois que Latifa entendait cette musique
et cette chanson.
«
De qui sont les paroles ? demanda-t-elle tout bas à Zivar.
Je ne sais pas… Il le dira sans doute à la fin. »
Quand brusquement Taïr passait des notes les plus hautes
aux notes les plus basses, il provoquait un étonnement
émerveillé, non seulement chez ceux qui l'entendaient pour la
première fois, mais encore parmi ses camarades. Il n'avait
jamais chanté ainsi. Samandar en devinait la cause ; penché
vers Bilandar, il lui souffla à l’oreille :
«
Sais-tu pourquoi il chante si bien ?
Non, pourquoi ?
Parce que Latifa l’écoute... »
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CHAPITRE VIII