C'était vrai. Taïr en voulait à Latifa, il ne la cherchait pas des
yeux, mais il lui disait dans cette chanson tout ce qui brûlait
son âme.
«
De qui sont les paroles ? redemanda Latifa à son amie.
Il va le dire tout de suite…Tu entends, elles sont de lui!»
Oui, c'était Taïr qui avait composé cette magnifique
chanson sur l'amitié, l’amour et la fidélité. Le sujet en était
simple : quand la mer est orageuse, quand elle sème la mort,
n'épargne rien, même pas ta vie, pour ton ami. C'est sur cette
amitié solide qu'est basée notre existence…
Quand la voix de Taïr, achevant sa chanson, atteignit les
notes les plus hautes puis se tut, il y eut une tempête
d'applaudissements… On le supplia de chanter encore.
L'annonceur lui-même comprit qu'il serait déplacé de vouloir
«
assaisonner» la chanson d'une plaisanterie.
Taïr chanta de nouveau. Latifa le dévorait des yeux.
Peut-être après l’avoir considéré comme un jeune homme léger
et inconstant, comprenait-elle tout à coup la profondeur du
sentiment qu'elle lui inspirait ?Peut-être un grand sentiment
était-il en train de naître en elle ? Latifa ne connaissait l’amour
que par les livres et les légendes populaires. Les livres et les
légendes disaient qu'il apporte à l'homme la souffrance et le
bonheur, qu'il le rend capable d'affronter toutes les épreuves et
tous les dangers. Elle avait toujours cru que cela était d'un autre
temps. Mais voilà qu'il s'éveillait en elle, violent, inexplicable.
Elle regardait Taïr. Ses cheveux rejetés en arrière, son front
haut, ses yeux brillants, ses lèvres pleines, sa façon de jouer du
saz
,
son chant, sa voix vibrante – tout provoquait en elle un
émoi étrange : elle avait l'impression de ne le connaître
vraiment que depuis qu’il s'était mis à chanter.
198
MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron