gardé, c'était son amour pour Latifa, la téléphoniste du puits en
mer. Samandar l’avait un jour deviné et avait fait allusion à
cette passion soigneusement cachée, mais Djamil lui avait
répondu d'un ton brusque qu'il n'éprouvait rien pour Latifa et lui
avait demandé de ne plus lui parler d'elle. Depuis, il était rare
qu'on prononçât son nom dans la chambre.
Djamil feuilleta les dernières éditionsdu journal : il n'y était
pas question de son trust. « C'est donc, songea-t-il, que ça ne va
pas trop mal.» Il s'en réjouit. Plongé dans ses pensées, il
n'aperçut tout d’abord pasSamandar et Bilandar qui entraient à
pas de loup, encore en train de s'essuyer. En les voyant, il sourit:
«
Bonjour, les amis !Comment vas-tu, Bedon ? »
Et sans attendre la réponse, il s'adressa à l’autre :
«
Et toi, Bilandar ? Ah, si vous saviez comme j'avais la
nostalgie de Bakou !Quoi de neuf ici ?
Dis-nous plutôt qui tu nous amènes » fit Samandar en
pliant sa serviette et en la pendant à son chevet.
Il posa sur Taïr ses yeux étroits que ses camarades appelaient
en plaisantant ses «fentes»,et demanda ;
«
C'est lui ? C'est Taïr? Tu l’as quand même amené aux puits?
Et où est son
saz
1
?
Tu nous as bien dit que c’est un achoug?
Il l’a laissé chez lui. Mais si Bakou lui plaît, on le lui
enverra. »
Djamil s'habilla rapidement, ouvrit sa valise, en tira de la
halva jaune à l’huile de noix, des petits pains feuilletés
sillonnés d'arabesques, et de la viande cuite au four.
Les « fentes » de Samandar étincelèrent ; il se saisit
rapidement d’un petit pain et de viande coupée menu et les
fourra dans sa bouche. Il mangeait de grand appétit, allant et
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron
1
N.d.t. : instrument à cordes national rappelant la mandoline.