Et pourtant, le sentiment qu'elle se découvrait soudain pour
lui était en elle depuis longtemps, depuis le jour où elle l'avait
rencontré pour la première fois. Elle ne s'en était jamais doutée,
mais maintenant elle le savait.
De nouveau les applaudissements éclatèrent dans la salle.
L'annonceur vint dire que la soirée était terminée. Cependant la
jeunesse ne partait pas et continuait de battre des mains. Mais
Taïr ne se montra plus.
Latifa n'arrivait pas à quitter sa place. La salle était à moitié
vide, et elle continuait de regarder l'endroit où il avait chanté,
comme si elle espérait que, devinant son attente, il reviendrait
et chanterait encore. Mais la voix de Zivar disait : « Qu’attends-
tu ? »
Latifa se secoua et se leva enfin. Elles sortirent dans le
corridor, bras dessus, bras dessous, et virent
ousta
Ramazan qui
rejoignait Taïr. Celui-ci tendit au vieux maître une main
hésitante. Mais Ramazan, incapable de contenir sa joie,
murmurait tout ému en lui tapotant l'épaule :
«
Quand je pense qu'avec une voix pareille, tu voulais nous
quitter ! »
Car il était dans le couloir quand Taïr chantait, et il l’avait
impatiemment attendu.
Zivar entraîna Latifa et la porte se referma sur elles.
Djamil avait également assisté au concert. Et il guettait les
deux jeunes filles. Aucun de leurs mouvements ne lui
échappait. Depuis qu'elles avaient quitté leur place, il observait
chacun de leurs pas. Mais Latifa seule l'intéressait. Il la suivait,
caché dans l’ombre, attendant que Zivar la quittât. Cette fois, il
était convaincu, sans trop savoir pourquoi, que Zivar rentrerait
chez elle.
199
CHAPITRE VIII