Toujours bras dessus, bras dessous, les jeunes filles
marchaient au milieu de la rue asphaltée. Latifa se taisait et
Zivar ne la questionnait pas.
Elles étaient arrivées aux marches de pierre. Djamil s'arrêta:
la lumière était trop vive, s'il les suivait, il risquait d'être vu.
Maintenant, leurs silhouettes se découpaient en haut de
l'escalier, dans la clarté laiteuse d'une pleine lune brillant parmi
les nuages au-dessus de Baïlov.
Et il entendit Zivar qui disait :
«
Je te regarde, je te regarde… et je vois bien ce qui se
passe… Mais il ne t'a pas vue :
ousta
l’avait accaparé. Taïr
t'aime, j'en suis sûre… c'est un peu ta faute, aussi, tu l'as
blessé.»
Le cœur de Djamil saignait : Pourquoi se fait-elle l'avocat de
Taïr ? Et Latifa ? Est-ce qu'elle ne dira rien ?songeait-il, en
regardant Zivar avec hostilité.Caché dans un coin d'ombre, il
était tout yeux et tout oreilles ; il gardait encore au fond de son
cœur un rayon d'espoir.
De nouveau il entendit la voix de Zivar:
«
Mais qu'as-tu ? Tu pleures ? »
Et il perçut nettement des sanglots étouffés. Latifa pleurait…
Ah, elle aime Taïr ! Cette idée le traversa avec la rapidité de
l’éclair. Le sang battait à ses tempes ; une force invincible le
poussait en arrière. Il rebroussa chemin d'un pas rapide…
Quand il arriva dans la chambre, les autres ne dormaient pas
encore. Samandar et Bilandar félicitaient Taïr à qui mieux
mieux. Personne, disaient-ils, n'avait eu autant de succès à ce
concert.
«
Vous avez raison, aujourd'hui Taïr a été heureux sur toute
la ligne », ajouta Djamil du ton calme et sérieux qui lui était
habituel.
200
MEKHTI HOUSSEIN
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Apchéron