Il allait et venait, regardait les ouvriers comme pour leur
dire: « Hé, les gars, que nous importe la tempête ? n'en
avons-nous pas l’habitude ? »
Djamil préparait la boue avec deux autres ouvriers. Ses gants
de grosse toile étaient noirs de mazout. Vassiliev remarqua que
le jeune homme était distrait. Il ne se trompait pas : Djamil
songeait à Latifa et à Taïr. Il voyait leur passion mutuelle et
comprenait qu'il ne pourrait rien y changer. À présent, Latifa,
quand elle le rencontrait, le saluait à peine, et son regard
confus disait sa crainte de lui être désagréable.
«
Ajoutez de l'eau, les gars, disait Vassiliev en essayant le
mélange. Depuis hier, le trépan n'avance plus assez vite : douze
mètres en vingt-quatre heures, c'est trop peu. Et nous sommes
en émulation !
Peut-être a-t-il rencontré une pierre ? » fit Djamil.
Vassiliev ne put répondre : le vent lui fermait la bouche. Il
resta quelques minutes devant la boue sans la quitter des yeux,
puis il eut un hochement de tête approbateur et se dirigea vers
la cabine de la culture.
La plate-forme tremblait sous les coups furieux du vent.
Pour garder son équilibre, Vassiliev dut s'accrocher des deux
mains au garde-fou. Autour de lui les vagues montaient et
descendaient, et leurs lignes qui se succédaient irrésistiblement
faisaient l’impression de donner l'assaut au derrick.
«
La tempête redouble de violence, songeait Vassiliev, mais
Ramazan Iskendérovitch viendra ! »
Dans sa cabine, assise à sa petite table, Latifa rendait compte
au trust de la marche des travaux ; et elle devait crier pour se
faire entendre malgré le vent.
«
Non, rien n'est arrêté. On travaille. À ce moment elle
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CHAPITRE IX