qu'ils ne s'étaient pas dit lors de leur dernière rencontre ? Ce
n'était pas facile ; elle s'en rendait compte maintenant.
Peut-être la peur de la tempête l'empêchait-elle de se
concentrer ? Mais non, elle travaillait depuis longtemps au
forage en mer, et les flots déchaînés ne l’effrayaient pas. Seuls
les timides qui n'ont pas l’habitude de la mer tremblent et ont
peur de mourir en voyant les vagues dressées comme des
montagnes. Au derrick, on ne pensait qu'à une chose : il fallait
tenir parole. Dans cinq jours la sonde devait être terminée et
donner du pétrole.
Djamil regardait sans crainte les vagues se cabrer. Il était
peut-être le seul dans toute l’équipe qui se permît par moments
de songer à autre chose qu'à son travail. Il s'était réconcilié avec
Taïr, mais il n'arrivait pas à vaincre son amertume. Oui, Taïr
avait captivé la jeune fille par sa voix de velours et les paroles
insinuantes de sa chanson. Ah, pourquoi ne lui avait-il pas parlé
de l’amour qu'il nourrissait depuis longtemps pour elle ? Qui
sait ? peut-être qu'alors tout se serait passé autrement… Mais
à présent, il n'y avait plus rien à faire. Il s'efforçait de chasser
ces pensées importunes et de ne plus songer qu'à une chose :
dans cinq jours le puits devait être livré à l’exploitation.
Quant à Taïr, ce qui l’inquiétait le plus, c'était l’absence de
Ramazan. Qu'est-ce qui pouvait bien retenir le maître ? Peu à
peu, sans s'en rendre compte, Taïr s'était habitué au vent fou
qui faisait trembler le derrick. Pourtant, quand une vague plus
haute déferlait, il était pris d'un frisson glacé. Mais il chassait
vite sa crainte et songeait avec les autres : « Plus que cinq
jours... »
Dix fois au moins, Latifa avait mentalement composé le
début de sa lettre, mais les mots ne venaient pas sur le papier.
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CHAPITRE IX