Ces paroles firent plaisir à Djamil. Depuis un an qu'il
travaillait à Bakou, il avait appris à aimer son vieux maître.
Il y avait bien longtemps qu'on connaissait
ousta
Ramazan
aux puits de Bakou. Il eût été difficile d'indiquer à Apchéron un
seul endroit où on ne l'eût pas rencontré. Les maîtres moins
expérimentés s'adressaient toujours à lui pour qu’il les tire
d'affaire. Il connaissait les secrets du sous-sol aussi bien que le
fond de son cœur. Il n'avait aucune instruction, mais de longues
années de travail lui avaient permis d'acquérir la faculté bien
rare de distinguer, les yeux fermés, et au toucher seulement, la
terre de Sourakhan de la terre de Romana. On avait même
inventé à ce sujet l’amusante histoire que voici : un jour
ousta
Ramazan avait convoqué ses amis pour leur faire part de ses
dernières volontés. « Je veux, leur avait-il déclaré,que vous
m'enterriez en un lieu où il n'y aura point de pétrole.
Et pourquoi donc,
ousta
?
Parce que je suis sûr que là où je serai, le pétrole jaillira.»
Quand on lui avait raconté cette histoire, il s'était mis à rire en
disant : « C'est une invention qui ressemble fort à la vérité. Je
n'ai jamais foré un puits où il y ait eu de l'eau au lieu de pétrole
! »
On n'avait en effet jamais foré en vain depuis qu'
ousta
Ra-
mazan était maître foreur.
Mais il était aussi connu en tant qu’ancien bolchevik: avant
la Révolution il avait milité avec le camarade Staline. Plus
d'une fois il avait été en prison et plus d'une fois il s'était évadé.
Djamil, apprenant qu'il s'était renseigné à son sujet, songea,
comme il l'avait souvent fait, que ce vieillard toujours renfrogné
au travail, était bon et sensible.
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MEKHTI HOUSSEIN
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Apchéron