tenant sa casquette à deux mains, beaucoup d'entre eux ont été
au front ; ils en ont vu de toutes les couleurs ! La seule chose
qui les inquiétait, c'était l'amarrage ; ils ne voyaient pas le
moyen de faire parvenir les vivres… »
Kourbat se taisait. À deux pas, des vagues géantes frappaient
furieusement le quai comme pour le réduire en miettes.
Les chaloupes oscillaient sur la crête des vagues,
plongeaient et réapparaissaient, avançant quand même…
Elles arriveront ! se dit Koudrat. Et l'espoir tempérait son
inquiétude.
Au puits d'
ousta
Ramazan, nul ne pensait qu'une chaloupe
pourrait arriver jusqu'à eux. Tout ce qu'ils espéraient, c'était la
fin prochaine de la tempête. Les travaux n'avaient pas été
interrompus un seul instant : le trépan avait pu creuser 420
mètres. Les 3 000 mètres allaient être atteints, et aussi le
pétrole. Ce n'était plus qu'une question de jours. Ramazan
lui-même n'avait osé espérer des rythmes si rapides. Mais il
voyait bien que son équipe était à bout. Les hommes étaient
pâles, épuisés ; certains regrettaient même d'être venus. Mais en
somme l'optimisme de l'équipe restait intact. Les grognons
eux-mêmes finissaient toujours par dire :
«
Ça ne fait rien, il y aura du pétrole non pas un mois, mais
un mois et deux jours avant la date fixée. Malgré la tempête,
l'équipe n'a pas perdu la face ! »
Personne ne se plaignait tout haut. Endurant patiemment la
faim et la soif, ils s'obstinaient tous à refuser d'aller dormir,
comme le leur proposait
ousta
Ramazan.
Celui-ci songeait en les voyant aux combattants qui avaient
fait la guerre. C'étaient les mêmes soldats, mis au monde par les
mêmes mères, respirant le même air, vivant sur le même sol,
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CHAPITRE IX