sous les mêmes cieux. Ramazan n'avait pas besoin de les
remonter. Qu'aurait-il pu dire à Vassiliev, à Taïr, à Djamil, à
Latifa? Ils savaient aussi bien que lui où et pourquoi ils
travaillaient.
Taïr constatait avec étonnement que depuis le début de la
tempête,
ousta
Ramazan ne s'était pas renfrogné une seule fois.
Il était comme rajeuni : rapide comme le faucon, simple comme
un enfant, blagueur, infatigable. Tout d'abord, Taïr avait trouvé
que la conduite de Ramazan, manifestement désireux de
réconforter ses hommes, manquait un peu de naturel. Mais
bientôt il avait vu qu'il se trompait ; Ramazan était ainsi fait :
les difficultés décuplaient son énergie. Et Taïr, oubliant sa
fatigue, riait avec les autres des plaisanteries du vieillard.
Après sa conversation téléphonique avec le directeur, Latifa
sortit de sa cabine. Elle était à bout de force, et avait de la peine
à se déplacer ; à tout moment elle passait la langue sur ses
lèvres sèches. Elle attira
ousta
Ramazan à l'écart et lui dit :
«
Le camarade Koudrat nous enverra des vivres, aujourd'hui
sans faute…
Une ombre passa sur le visage de Ramazan.
«
C'est peut-être toi qui en as demandé ?
Non,
ousta
,
ça vient de lui…Depuis quelques jours, le
vieillard voyait son équipe supporter avec courage la faim et la
soif : il en éprouvait un sentiment d'orgueil mêlé de pitié.
Pourtant cette nouvelle ne le réjouit pas.
Ce n'est pas à faire… dit-il. Nous ne pouvons permettre
que d'autres meurent à cause de nous… Il allait téléphoner à
Koudrat, refuser, mais l'idée lui vint que quelqu'un avait pu se
plaindre à l'insu de Latifa, et obliger ainsi Koudrat à mettre des
vies en danger… Un peu bourru, il demanda :
228
MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron