De nouveau Ismaïlzadé plaisanta :
«
Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je gagne comme les
autres ; je dors moins qu'eux, je te lejure, et voilà douze ans
que je ne prends pas de vacances. Et pourtant il me semble que
la jeunesse ne m'abandonnera jamais. »
Il eut un large sourire.
«
J'ai sans doute la peau trop épaisse.
Pour ça, non, même les plus malveillants ne peuvent le
prétendre. Il y a sûrement des causes plus profondes. Mais
lesquelles ? Je l'ignore. »
De ses gros doigts rudes comme ceux d'un ouvrier, Koudrat
prit une cigarette et alluma son briquet.
«
Je peux te révéler ce secret, fit-il. Je te dirai pour cela une
des jolies histoires que ma mère sait si bien raconter.
Laquelle ? demanda son interlocuteur impatient, tandis
que sa main puisait une cigarette dans la boîte que lui tendait
Koudrat.
Évidemment, je ne pourrai pas te la raconter aussi bien
qu'elle. Il faut l’entendre, quand elle est avec ma petite Chirmaï:
elle sait se mettre à son niveau et donner au récit une ingénuité
qui en rehausse le charme. Mais je commence :
«
Il y avait autrefois un sage
padischah
(
Koudrat eut un
sourire). Car il y en eut de sages… Voulant savoir comment
vivaient ses sujets, il se mit à parcourir les villes et les villages
de son empire avec sa suite, tous ses
vizir
s et tous ses
vekils
.
Et
il vit une chose extraordinaire : un jeune charpentier taillait une
planche sur une enclume en chantant une chanson joyeuse et sa
hache, malgré tout son élan, ne touchait pas le fer. Alors, le
schah
étonné demanda à son
vizir
: “
Comment a-t-il pu
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CHAPITRE I