Il se sentait fier de cheminer ainsi au côté d'
ousta
Ramazan,
qui avait été l'ami d'un personnage célèbre, d'un héros ; tout le
monde n'a pas eu la chance de marcher avec unhommepareil!
Ils arrivèrent à l'arrêt du tram et le maître foreur quitta les
jeunes gens. Quand il fut suffisammentloin, Taïr se tourna vers
Djamil :
«
Pour te dire la vérité je me sentais assez mal. Je croyais
tout perdu : il me regardait d'un air plutôt hostile.
Allons,allons !
Il n'a même pas eu l'ombre d'un sourire.
Il est comme ça. Mais pourquoi ne regardes-tu que son
visage ? Chez lui, toute la chaleur est au dedans. Au travail il
est sévère, il ne pardonne rien, ça, c'est vrai. Il est assez
renfermé. Mais il ne faut pas oublier qu'il avait deux fils au
front et qu'ils ne sont pas revenus. C'est peut-être pour ça qu’il
est si rarement chez lui : sa vieille femme est toujours en
larmes…
Ousta
Ramazan a enfoui sa douleur tout au fond de
lui-même et n'en parle à personne. »
Dès qu'ils furent rentrés, Taïr écrivit à sa mère : il était
décidé à rester à Bakou et il lui demandait de lui envoyer son
saz
à la première occasion.
Il alla ensuite se coucher, mais il mit longtemps à s’endormir:
la bande de ses souvenirsse déroulait,se déroulait… Il revit Latifa.
«
Dis-moi. Djamil,où habitent-ils ?
Quiça ?
Latifa et sa famille.
Ah-ah !On est donc déjà amoureux ?
Non, je te demande ça comme je t'aurais demandé ‘autre
chose » dit Taïr ; mais il sentitqu'il rougissait.
Djamil voulut plaisanter :
«
Oh, bien sûr, on dit ça… D'abord tu te tuyautes, puis tu
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron