Le vieux maître foreur releva le col de sa combinaison bleue
et Taïr se dit qu'il devait songer à ses enfants. Le
saz
!
On n'a
qu'à écouter le
saz
pour redevenir jeune…
Taïr appliqua son instrument contre sa poitrine et se mit à
jouer un air d’antan. Des étincelles s'allumèrent dans ses yeux
rêveurs et il chanta avec beaucoup d'âme :
Qui que tu sois, ô toi que je rencontre sur ma route,aie pitié de moi !
Quand il se tut, il lut sur tous les visages le regret que la
chanson fût terminée. Il remit le
saz
dans son étui, en tira les
cordons. Pour cacher son émotion, il dit plaisamment, imitant
le speaker:
«
La première partie du concert est terminée ! »
Ils étaient arrivés etil sauta le premier hors de la chaloupe,
mais nulle part il ne vit Latifa. N'était-elle pas venue au travail
?
Il jeta de nouveau un coup d'œil sur la « cabine de la culture
»
où elle se trouvait d'ordinaire, car outre qu'elle était
téléphoniste, elle s'occupait des questions culturelles. Tout à
coup, il entendit des pas légerset il sut que c'étaient les siens.
L'espace d'un instant, leurs regards se croisèrent. Taïr voulut
parler, mais les ouvriers le suivaient, et il attendit qu'ils fussent
passés.
Resté seul auprès d'elle, il continua de se taire ; il avait
oublié les mots les plus simples. Enfin, il put lui dire :
«
Bonsoir, Latifa ! Oùcours-tu ainsi ?
J'ai fini le travail. »
«
Elle n'a pas l'air si heureuse que ça de me voir», songea-t-il déçu,
et il baissa lesyeux.
Mais comme si elle regrettait ses paroles, elle désigna l'étui
et demanda doucement :
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CHAPITRE II