La chanson allait droit aux cœurs ;tous les visages s'étaient
éclairés d'un sourire.Djamil, plein d'admiration, disait :
«
Bravo, Taïr, bravo ! Tu as tout, il ne te manque que ta
Zoukhra ! » Il faisait allusion à la légende romanesque de Taïr
et de Zoukhra.
Taïr pensait à Latifa. Un vague espoir d'être entendu d'elle le
faisait frapper plus fort les cordes qui avaient des accents plus
sonores et plus pénétrants… Chaque fois qu'il rencontrait
Latifa, il découvrait en elle quelque chose de nouveau,
d'extraordinaire, quelque chose qu'il n'avait jamais vu, et il s'en
réjouissait. Chaque parole amicale de sa bouche lui était un en-
couragement. Et toujours il regrettait de devoir la quitter trop
vite. Plus d'une fois il avait été sur le point de lui dire : « Je
t'aime. » Mais il y avait toujours quelqu'un trop près, et puis
Latifa l'intimidaitterriblement.
Espérant que son aveu serait entendu, au moins dans la
chanson, il continuad'unevoix plus puissante
L'oiseau du paradis a peur de tes boucles,
Les paons sont muets par l’effet de tes douces paroles,
Ton regard, ô Baghif,m'a rendu malheureux.
En entendant sa voix, les autres ouvriers s'étaient
rapprochés. Mais Taïr ne voyait personne et partibien loin sur
les ailes du rêve, il continuait de chanter :
Garde-toi bien, ô vent, d'agiter ses cheveux,
Garde-toi d'apporter la tristesse en son cœur.
Peut-être saurais-je luiépargner des larmes,
Elle a du moins un gage, c'est mon dévouement.
Ne pouvant supporter leur passion ni leurs peines,
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron