Quand enfin le soleil se fut levé, et que perçant le voile gris
et mouvant des nuages, il dispensa généreusement la lumière et
les couleurs, la table se mit à tourner avec son grondement
monotone.
Le travail se poursuivait avec la même intensité ; tous étaient
crispés dans l'effort. Mais les pensées de Taïr étaient ailleurs :
il revoyait son village natal, il songeait à sa mère ; jamais depuis
dix-huit ans qu'il vivait, il n'avait été aussi longtemps loin d'elle.
ÀBakou, tout lui plaisait, il avait tout aimé d'emblée, mais
il était privé de la tiédeur de la maison ;il se sentait seul.
«
Si maman était ici, je n'échangerais Bakou contre rien au
monde, songeait-il. Ah, si je pouvais la faire venir ! Mais où
?
Chez qui vivrait-elle ? Et d'ailleurselle ne voudra jamais
quitter son kolkhoz. »
Il jeta un coup d'œil sur l'aiguille du drilomètre, fine comme
celle d'une horloge, et il se souvint de Latifa. Ce souvenir était
comme une morsure. Pourquoi n'avait-il pas songé à elle si
longtemps ? Elle allait bientôt arriver.
Comme toujours quand il pensait à elle, il oublia la maison.
Et il fixa la mer du côtéd'où allait arriver la chaloupe.
Mais le
Tchapaev
n'était pas encore en vue.
«
Je lui ouvriraimoncœur, adviennequepourra», songea-il. Et plus
l'impatience le tenaillait, plus le temps lui semblait long.
Tout à coup, il entendit la voix sévère d'
ousta
Ramazan :
«
A quoi penses-tu, mon fils ? »
Il sursauta, effrayé, et regarda le maître.
«
Qu'y a-t-il,
ousta
?
Ce qu'il y a ? Regarde ! »
Le vieillard désignait le collecteur où la circulation de la
boue s'était interrompue.
«
Je te l'ai répété cent fois: sois attentif ! On a bien raison de
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron