«
Maintenant, partons ! Je suis fatigué, moi aussi. Et ma
femme se plaint toujours de me voir si peu à la maison. »
Vassiliev poussa le vieux maître foreur vers la chaloupe
encore en train d'attendre les ouvriers :
«
Va, va, je reste, tu n 'as pas à t 'inquiéter. Hier, quand tu es
allé au trust, j'ai dormi deux heures. »
Chaque fois qu'il avait une nouvelle preuve de la sollicitude
de son adjoint, Ramazan éprouvait une émotion à peine
perceptible. Il aimait Vassiliev, cet adjoint expérimenté et tout
dévoué au travail, qui était en outre doué d'un esprit pratique et
d'un cœur très bon.Ils ne parlaient jamais de leur attachement
mutuel, de cette amitié réciproque qui était entrée dans leur
chair et dans leur sang. Là où d'autres n'arrivaient à s'entendre
qu'au prix de longs débats et de disputes, Ramazan et Vassiliev
tombaient très facilement d'accord grâce à l'estime qu'ils
avaient l'un pour l'autre. Vassiliev savait prêter une oreille at-
tentive aux avis de Ramazan, de même que le vieux maître
foreur aux remarques de son adjoint. D'ordinaire, quand celui-
ci réussissait à lui démontrer qu'il avait raison, Ramazan était
heureux. A son tour, Vassiliev acceptait volontiers tous les ar-
guments sensés de son ami, même s'ils contredisaient sa propre
façon de voir. Tous les deux, sans même s'en rendre compte, se
complétaient parfaitement: si Ramazan était l'âme du derrick,
Vassiliev en était le cerveau. Ramazan savait entraîner son
monde au travail et Vassiliev, qui connaissait à fond tous les
mécanismes, pouvait intervenir au moindre accroc.
Les ouvriers avaient pris place dans la chaloupe. Comme
toujours, Taïr était assis à côté de Djamil, avec son
saz
sur ses
genoux.
«
Non, ça ne va pas du tout » se disait-il. Les reproches
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CHAPITRE III