6
Le train avait dépassé la pente etralentissait maintenant petit
à petit, comme à bout de force. Les contours des immeubles se
faisaient de plus en plus nets. Un train électrique accourait vers
eux.
Djamil déclara que le train parvenait à destination et qu’il
fallait rassembler les bagages. Taïr passa à l’épaule sa besace
multicolore pleine à craqueret Djamil prit sa valise.
«
Voilà, ça y est. Pour des gens comme nous ce n'est jamais
bien long. Quand on dit à un tailleur : “Prépare-toi !”, il pique
son aiguille à son revers,eten route… »
Le train s’arrêta quelques instants plus tard. Taïr voyait dé-
sormais de près une parcelle de l'énorme ville : le quai éclairé,
une marchande de glaces en tablier blanc avec sa voiturette, et
de grands palmiers dans leurs bacs.
Sur le quai ils eurent une sensation de fraîcheur. Les rires
sonoresdes enfants et les cris des voyageurs appelant les por-
teurs se mêlaient aux sifflements des locomotives. Taïr ne quit-
tait pas son ami d'une semelle, craignant de se perdre dans cette
cohue. Il n'avait pas eu le temps de jeter un regard autour de
lui que la surprise le faisait déjà sursauter :des gerbes multi-
colores s'allumaient partout dans le ciel, pour retomber en pail-
lettes de feu. À peine revenu de sa stupéfaction, il chancela,
abasourdi par le fracas d'une salve d'artillerie. Fixant toujours
le ciel de ses yeux étonnés, il restait là, figé, lesouffle court.
Pareille à un météore, la fusée qu'il suivait du regard monta ver-
tigineusement dans le ciel et s'éteignit. Dans une nuit qui lui
parut s’être assombrie, Taïr héla son camarade :
«
Djamil,oùes-tu ? »
De nouvelles fusées sillonnèrent le ciel. Et Taïr s'accrocha
des deux mains à Djamil:
MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron