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Une demi-heure auparavant, la vieille Nissa, voyant son
mari tout remué s'habiller à la hâte et partir avec des fleurs, lui
avait demandé où il courait ainsi, mais elle n'avait pas reçu de
réponse. Apercevant Djamil près de la clôture, elle s'était
cependant rassérénée: on l'appelait sûrement au derrick. Mais
pourquoi était-il parti avec les fleurs au lieu de les mettre dans
un vase comme il faisait toujours? Il devait se passer quelque
chose d'extraordinaire pour qu'il eût ainsi manqué à sa vieille
habitude. Oui, quelque chose d'extraordinaire, puisqu'elle avait
vu la voiture du directeur qui venait le chercher. Un incendie
peut-être ?
Elle était sortie dans la cour, traînant ses pantoufles ; elle
avait grimpé sur la grosse pierre près du puits pour regarder du
côté des derricks dont les silhouettes se profilaient au loin. Non,
il n'y avait pas d'incendie.
Sur mer tout était calme, et il n'y avait pas de voiture sur la
route qui menait au port.
Ousta
Ramazam n'était donc pas allé au
puits.
Mais alors ? En admettant qu'Ismaïlzadé avait besoin de lui,
pourquoi avait-il envoyé l'auto alors que le trust était à deux
pas ? Non, ce devait être autre chose… peut-être au sujet
desenfants ?
Depuis qu'ils n'avaient plus de lettres de leurs fils, Nissa
observait à la dérobée chaque geste de son mari, se demandant
s'il ne lui cachait rien. N'était-ce pas pour fuir ses questions
importunes qu'il était si rarement à la maison ? Elle se disait
que s'il travaillait nuit et jour, c'était peut-être pour étouffer le
chagrin qui le dévorait. Elle le connaissait bien : une nouvelle
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MEKHTI HOUSSEIN
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Apchéron