inattendue pouvait le bouleverser, lui qui faisait l'impression
d'être toujours si calme et si équilibré. Quand il passait la nuit
chez eux, il se tournait et se retournait dans son lit jusqu'au
matin, murmurant dans son sommeil des mots qu'elle ne
comprenait pas : « drilomètre », « carré», ou plus souvent
encore, répétant le nom de ses fils.
Quand elle était seule, surtout pendant les sombres nuits de
la guerre toutes tissées d'angoisses, Nissa pleurait doucement,
sans témoins.
Et maintenant, en scrutant la route, elle se demandait encore
une fois si Ramazan n'avait pas reçu des nouvelles de leurs
fils…
Toute sa jeunesse avait été marquée par le travail et les
soucis. Elle avait élevé ses enfants, elle en avait fait des
hommes. Et sa fierté maternelle, ce sentiment très pur, l'avait
soutenue, lui avait fait oublier les privations de sa jeunesse.
Devrait-elle mourir sans avoir revu Pacha et Ahmed ? Aucune
pensée ne lui était plus douloureuse. Ils étaient mariés tous les
deux, mais ils n'avaient pas d'enfants. Nissa aimait ses
belles-filles également et ne faisait jamais un cadeau à l'une
sans en faire aussi un à l'autre. Elles étaient institutrices.
L'affection de leur belle-mère les touchait; elles l'aimaient et
lui témoignaient toutes sortesd'égards.
Nissa venait de rentrer et allait s'occuper du ménage quand
la porte s'ouvrit. C'était
ousta
Ramazan avec Taïr.
«
Qu'est-il arrivé ? lui demanda-t-elle, rassurée. Où
courais-tu ainsi ? Je mourais d'inquiétude. »
Ramazan eut un sourire vague. Plaisantait-il ou était-il
sérieux lorsque, désignant son apprenti resté sur le seuil tout
confus, il répondit :
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CHAPITRE III