«
Je suis allé accompagner Taïr à la gare. Entre, mon fils,
entre. »
Taïr, abandonnant dans le couloir son
saz
et ses bagages,
entra dans la pièce avec une sorte d'appréhension. Il oublia
même de saluer Nissa qui le regardait avec étonnement et
s'assit sans rien dire à la place qu'
ousta
Ramazan lui désignait,
tout en expliquant à sa femme :
«
C'est Taïr dont je t'ai parlé. Il s'ennuyait à Bakou et il avait
décidé de rentrer à la campagne. Mais voilà, il a raté son train.»
Maintenant, Nissa percevait une ironie débonnaire dans les
paroles de son marietelle regarda Taïr avec une curiositéaccrue.
Ousta
Ramazan prit place en face de lui.
«
À présent, mon fils, raconte-moi ce qui s'est passé. J'y suis
peut-être pour quelque chose ? Je t'ai peut-être blessé ? »
Durant tout le voyage de la gare à la maison, le vieillard ne
lui avait pas dit un mot et il sentit dans ces paroles un reproche
caché. Il relevalentement la tête et répondit, sans oser regarder
Ramazan en face :
«
Non,
ousta
,
quel droit aurais-je de me plaindre de vous ? »
Après un moment de silence, il ajouta, comme pour se
justifier :
Ma mère est restée toute seule à la campagne : elle n'avait
que moi.
Mais pourquoi partais-tu en cachette? Sans rien dire à
personne, sans me prévenir ?
Vous avez bien assez de vos propres soucis… »
Le vieillard s'assombrit et comme s'il oubliait que sa femme
était là, il se mit à parler de ceux dont il ne parlait jamais.
«
Mes soucis, mon malheur… Sais-tu que j'ai vu partir mes
deux fils pour le front et que je n'ai jamais eu de leurs nouvelles?
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron