Faut-il, oui ou non, que d'autres grandissent pour les
remplacer ? Sois mon fils, travaille et progresse ! Si tu étais
parti, qu'est-ce que ta mère y aurait gagné? Ah, jeunesse d'une
époque heureuse que vous ne savez pas apprécier ! »
Ousta
Ramazan était ému. Il s'était levé et arpentait la pièce,
les mains derrière le dos.
«
J'aurais bien voulu étudier, moi, quand j'étais jeune, mais
mon père n'avait pas les moyens et j'ai dû entrer en
apprentissage chez un ajusteur. Sans le pouvoir des Soviets,
mes fils auraient été des ignorants, comme moi. Mais
aujourd'hui toutes les portes vous sont ouvertes. Étudiez tant
que vous voudrez, travaillez, avancez. Au jour où nous vivons,
le sort de chacun dépend de lui-même. »
Taïr aurait voulu répondre, mais les mots ne sortaient pas.
Ousta
Ramazan leva sur lui un regard affectueux et sa voix se
fit chaleureuse pour dire :
«
Eh bien, parle, parle. Ne suis-je pas ton père ? »
Taïr s'enhardit.
«
Ousta
,
ne croyez pas que je suis ignorant à ce point. Au
contraire, j'apprécie notre époque.
Mais alors, pourquoi ne veux-tu pas étudier ? Tu n'auras
pas à tirer le licou pendant trente ou quarante ans, ni à t'aplatir
devant tes chefs pour arriver, toi aussi, à être chef un jour. Les
temps ont changé. Apprenti aujourd'hui, tu peux être foreur
demain, sous-chef d'équipe au bout d'un an, et dans deux ou
trois ans, maître à ton tour. Et si tu veux devenir ingénieur, cela
ne dépend encore une fois que de toi-même. »
Taïr songeait qu'il avait été bien naïf de vouloir expliquer sa
fuite par la solitude où il avait laissé sa mère. Il fut sur le point
de dire qu'il avait voulu aller chercher sa carte de contrôle, mais
il comprit aussitôt que cela ne l'excuserait pas davantage.
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CHAPITRE III