Une nouvelle, une que tu ne m'as jamais racontée !
Tu crois que j'en sais encore de nouvelles ? »
Elles se taisaient toutes les deux. Toukezban avait redit plus
d'une fois toutes les histoires qu'elle connaissait, et depuis
quelque temps elle racontait sa vie, mais sous forme de contes,
à Chirmaï qui ne s'en doutait pas.
«
Grand'mère, dit la fillette en se serrant contre elle, une
longue histoire, qui ne finisse pas bientôt… »
La vieille femme réfléchit un moment en caressant la tête
bouclée de sa petite-fille, et commença :
«
Il y avait une fois un jeune homme qui s'appelait Seïran.
Depuis longtemps son père était mort. Et Seïran quitta la
campagne pour aller à Bakou travailler aux puits de pétrole. La
ville était triste. Elle ignorait la joie, comme tous ceux qui y
travaillaient pour les autres. Seïran aussi était triste. Tout le
temps il songeait à son village et à sa mère, restée seule. Il
aurait voulu mettre un peu d'argent de côté et rentrer chez lui.
Mais il n'y arrivait pas. Il avait beau travailler nuit et jour, il
avait tout juste de quoi vivre, comme un pauvre. Et presque
tous ses camarades étaient dans le même cas. En ce temps-là,
les puits de Bakou étaient un véritable enfer. Les gens s'y con-
sumaient comme dans les flammes. Seïran décida malgré tout
de retourner à la campagne, mais ses camarades lui dirent : "Où
vas-tu ? Pour nous, la vie est partout la même. A la campagne,
c'est comme ici, on travaille, on travaille, et on vit dans la
misère." Ils réfléchirent longtemps, mais ils ne purent trouver
pourquoi ils vivaient si mal. Alors ils écrivirent au tsar une
plainte contre leurs patrons. Elle n'eut aucun effet : comme on
dit, les loups ne se mangent pas entre eux. Les ouvriers
continuaient à souffrir les tourments de l'enfer. Mais voilà qu'un
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CHAPITRE III