«
Qu'est-ce que c'est, maman ? Chirmaï montrait la jupe.
Une nouvelle fontaine ?
Non, ma petite fille. Après la conférence, j'ai été au
forage : ça ne va pas tout à fait bien. »
Elle passa rapidement dans sa chambre changer de
vêtements. Toukezban s'était levée. Elle mit la bouilloire sur le
feu et prépara le souper de sa belle-fille. Malgré son âge avancé,
c'était elle qui faisait le ménage : elle ne pouvait admettre
qu'une domestique fît la cuisine et elle voulait voir régner
partout l'ordre qu'elle avait établi. Si elle n'avait plus eu à
s'occuper des travaux domestiques, elle se serait ennuyée. Son
fils et sa bru le savaient bien et la laissaient faire. Grâce à elle,
il régnait dans la maison une harmonie que certains enviaient.
La mère gouvernait raisonnablement la maison, et chacun se
soumettait volontiers aux habitudes qu'elle y avait établies.
Quand Koudrat faisait un reproche à Lalé, Toukezban
prenait toujours le parti de sa belle-fille et elle savait couper
court aux disputes dès le début. Elle était une mère non seule-
ment pour Koudrat, mais pour toute la famille. Lalé avait pour
elle un respect tout filial. L'estime mutuelle était devenue une
habitude. La jeune femme n'intervenait que dans l'éducation de
sa fille qu'elle aidait, quand elle était libre, à préparer ses leçons.
Toukezban posa le thé et le souper sur la table, sous le grand
abat-jour vert. Entre-temps Lalé avait fait sa toilette. Selon son
habitude, ses cheveux noirs étaient ramenés en arrière et
maintenus par un grand peigne ; ils formaient dans la nuque un
lourd chignon. Sa peau était mate sous le léger nuage de
poudre. L'ombre de la fatigue avait quitté son grand front; la
lassitude avait disparu de ses yeux brun clair.
«
Comment cela va-t-il, ma fille ? demanda Toukezban après
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MEKHTI HOUSSEIN
.
Apchéron